J'ai papoté avec…Hyce Beerg

L’auteur anonyme du compte Instagram aux près de 100 000 abonnés @hyce.beerg vient de publier son premier livre, « Dérives », aux éditions Frison-Roche Belles-Lettres (2021). Une occasion parfaite d’en apprendre un peu plus sur ses textes, lyriques et poétiques, et sur l’origine de son travail créatif. Rencontre.

Hello Hyce.Beerg 👋🏼 qui es-tu ?

Un trentenaire anonyme et parisien, comme beaucoup d’autres, qui boit du café le matin, essaie de réduire sa consommation de viande et est un peu terrifié par l’avenir. J’ai sinon la chance d’avoir un chat stupide qui essaie de mordre l’eau plutôt que de la boire… Il y a une dizaine d’années, en parallèle de mes études de design et d’histoire de l’art, j’ai commencé à écrire quotidiennement sur Tumblr, à l’époque où c’était encore bien. D’un point de vue plus intime, je dois pouvoir me qualifier de grand maladroit qui ne comprend pas bien les interactions sociales. Je pense me planter à chaque fois que parle à quelqu’un, donc je retourne écrire parce que c’est ce qui m’appartient le plus.

Pourquoi les réseaux sociaux comme principal support d’écriture ?

C’est l’écriture courte qui m’intéressait avant tout, la possibilité de lire un texte, une phrase, marquante ou non, qui se digère et s’oublie aussi vite. C’est aussi l’aspect de la culture populaire « aussitôt consommé, aussitôt oublié », qui me plaisait, parce que ça permettait pour moi d’écrire sans attente, que ce soit une attente personnelle ou une attente de la part d’un potentiel lecteur qui se serait perdu sur internet. J’ai aussi commencé à écrire sur les réseaux comme un exercice quotidien, une contrainte de rythme que je me donnais pour rester créatif. Il s’avère qu’avec le temps, j’y ai mis plus qu’une envie passagère et que mon écriture a pris plus d’importance.

L’important pour moi dans l’écriture, c’est de faire attention à mes pensées, même les plus fugaces et anecdotiques.
— Hyce Beerg

À quel moment écris-tu le plus ? Quel est ton processus créatif? As-tu « des trucs » ?

Il n’y a pas de moment précis, mais les idées peuvent surgir n’importe quand (sous la douche ou au moment de m’endormir principalement tout de même). J’essaie alors de noter directement ce qui me traverse l’esprit, que ce soit bien ou nul, sinon j’oublie. Je ne juge pas sur le moment, je fais juste attention à tout, et ensuite je reviens dessus au calme, j’efface en râlant, je corrige, j’améliore, et parfois je laisse tel quel. Mais l’important pour moi dans l’écriture, c’est de faire attention à mes pensées, même les plus fugaces et anecdotiques. Aussi, je cherche à utiliser des mots simples, à jouer avec eux, le rythme, la ponctuation, à écrire comme je parle, pour rester au plus près de mes pensées brouillonnes.

 

La vie sentimentale et le désir semblent être tes principales sources d'inspiration. Tu nous expliques ?

Il a toujours été compliqué pour moi de définir ce qu’étaient le désir et les sentiments. Ce sont des aspects de la vie qui semblent compris par tous, entendus par tous, mais qui désemparent totalement. Ça m’a toujours paru flou, obscur, complexe, et j’ai parfois du mal à me rendre compte que je peux ressentir quelque chose. Alors je questionne mes sensations, les moments vécus par d’autres afin de les mener à des endroits que je ne connais et ne comprends pas. J’essaie de mettre en mots ce que je n’arrive pas à dire, qui est bien souvent lié à mon approche de l’autre et des autres. Parce que le rapport à l’autre m’effraie, d’autant plus s’il touche à mon intimité.

Tu agrémentes tes textes de dessins, quel lien fais-tu entre les deux ?

C’est l’instant qui m’intéresse, le moment fugace que l’on tente de figer, le détail que l’on retient. Le dessin et le texte apportent chacun une part différente des moments qui nous échappent, de ce qu’on essaie de retenir, de ce sur quoi on veut se focaliser. J’essaie par les textes et le dessin de raviver le souvenir des détails qui passent trop vite. Ce sont des moments que je peux revoir ou relire plus tard et ne pas forcément comprendre, mais ils me permettent d’aborder un point de vue différent de cet instant trop fugace pour être vraiment capturé. Et puis, j’ai toujours vu mes textes comme des images, le dessin devient alors juste un autre style visuel.

 
Ce livre est pour moi une tentative de mise en forme de ma pensée dispersée.
— Hyce Beerg

La sortie de ce livre alors, ça représente quoi ?

Au départ, je n’ai jamais eu pour objectif de sortir un livre, car je n’ai jamais vu ça comme un but ou un accomplissement. C’est pour moi un autre support, une autre manière de travailler, un nouvel exercice avec des contraintes inédites. Les mots se figeant sur papier, ils ne racontent plus les mêmes émotions, mais ils dessinent un récit, avec une continuité, un début et une fin. La réflexion se fait alors plus complexe, plus profonde, car ce n’est plus un instant qu’on saisit et qu’on oublie, mais un ensemble, voire même une histoire émotionnelle que l’on raconte. Ce livre est pour moi une tentative de mise en forme de ma pensée dispersée.

Dérives, par Hyce Beerg (éditions Frison-Roche Belles-Lettres, 2021)

Pour terminer, quel artiste aimerais-tu nous faire découvrir ?

Beaucoup de personnes talentueuses écrivent sur Instagram, c’est compliqué de faire un choix ! Je pourrais citer @benisidore (notre maître a tous), @tendreromeo, @heur.euze, @lesmotsdous, @chardonparme ou encore @bleu_velours. Mais au lieu de parler de mots, j’ai envie de faire découvrir un photographe dont le travaille me captive depuis des années, qui saisit le désir comme des moments fugaces qui ne durent pas. Il s’agit de @gaetan.thibault.dubroca. Ses photos parsèment mon quotidien, me mettent face à des désirs que je peux ressentir, ou au contraire ne pas comprendre, et qui ne sont pas vulgaires, exagérés, glorifiés ou lissés, mais juste humains.

Capucine Lebeau